Mais ne vous y méprenez pas. Derrière cet homme d’une grande sensibilité, qui a cédé pendant une année 50% de son salaire de base de député à des orphelins, se cache un politique au caractère bien trempé.
Son franc-parler, le tranchant de son verbe et ses discours aux accents volontaristes rappellent, à bien des égards, ceux de Thomas Sankara dont il est un grand admirateur.
En janvier 2020, son pays accueille à Ouagadougou la 15ème conférence de l’Union parlementaire des Etats membres de l’organisation de la coopération islamique (UPCI) dont il est le président.
C’est en cette qualité que le Président Alassane Bala SAKANDE s’est prêté aux questions de l’équipe de rédaction du « Bulletin UPCI » dans la présidente édition.
UPCI : L’année (2019) marque le 20ème anniversaire de la création de l’UPCI. Comment évaluez-vous les progrès de l’Union ?
Alassane Bala SAKANDE: Avant de répondre à cette question, permettez-moi, de saluer la clairvoyance des pères fondateurs et de tous ceux qui ont œuvré à la mise en place de l’UPCI en 1999 à Téhéran. Je ne citerai pas de noms, de peur d’en oublier, mais je reste reconnaissant et admiratif de cette initiative à travers laquelle aujourd’hui plus de cinquante parlements se retrouvent autour de valeurs partagées.
Pour revenir à votre question, l’UPCI a été créée il y a de cela 20. Cela peut paraitre insignifiant comparé avec d’autres organisations de création beaucoup plus ancienne. Mais le progrès d’une institution ne saurait se mesurer à la seule aune de son âge.
Si on se réfère au nombre de ses membres, à ses réalisations et à la place qu’elle occupe aujourd’hui sur l’échiquier mondial, on se rend compte de l’importance du chemin parcouru par l’UPCI en seulement deux décennies d’existence.
En jetant un regard sur le parcours déjà accompli en rapport avec les principes et objectifs qui ont motivé la création de l’UPCI, nous sommes en droit d’exprimer notre satisfaction légitime malgré les nombreux défis qui restent à relever.
Laissez-moi vous donner juste trois exemples car il en existe plusieurs.
- Le premier motif de satisfaction est lié à la régularité dans la tenue des instances de l’UPCI.
En tant que cadre de partage, de débats et d’échanges, ces réunions constituent autant de facteurs de rapprochement des parlements membres que de vecteurs de renforcement de la cohésion de l’union et de l’unité de la Oumma.
Garantir les possibilités de nous retrouver, c’est garantir l’espoir de parvenir à des consensus sur nombre de grandes questions qui se posent encore au sein de la communauté des croyants dans l’islam.
- Le deuxième motif de satisfaction qui est d’ailleurs en lien avec le premier, ce sont les contacts que les réunions permettent aux parlementaires de nouer et d’animer. Il s’agit là d’un des objectifs qui ont d’ailleurs milité en faveur de la création de l’UPCI. Aujourd’hui ces contacts sont une réalité et ils ont permis dans bien des cas, d’une part, d’établir des liens entre parlementaires et, d’autre part, de renforcer la coopération entre parlements.
- Le troisième exemple est relatif aux résolutions et recommandations que nous formulons. Celles-ci ont un impact certain sur les politiques publiques de nos Etats. Je dois préciser ici qu’à partir du moment où un texte est adopté ou entériné par l’UPCI, sa prise en compte incombe surtout aux Etats qui ont la responsabilité d’internaliser les orientations et directives arrêtées de commun accord.
Mais comme on le dit, l’arbre ne doit pas cacher la forêt. A côté de ces résultats positifs demeurent de nombreux défis tant en ce qui concerne les procédures et le fonctionnement des instances, qu’en ce qui concerne les rapports entre membres.
D’abord, concernant les procédures et le fonctionnement, il est important que les commissions générales puissent travailler en dehors des conférences de manière à ce qu’entre deux conférences, les commissions puissent se réunir.
Ensuite, l’UPCI doit véritablement travailler sur un mécanisme efficace de suivi-évaluation de la mise en œuvre des recommandations.
Enfin, il est primordial que l’Union renforce son partenariat avec les nations unies au sein desquelles elle doit avoir une mission permanentes.
UPCI : Votre pays organise pour la première fois, la Conférence de l’UPCI en dépit de différents défis auxquels il est confronté. Quel est votre avis sur l’organisation d’une telle rencontre par un pays comme le vôtre ?
Alassane Bala SAKANDE: C’est d’abord un honneur pour le Burkina Faso d’être choisi pour abriter cette instance décisionnelle de notre institution.
Partout où elle a déjà eu lieu, cette conférence a toujours constitué un défi pour le pays organisateur. C’est en toute connaissance de cause que le Burkina Faso a accepté d’être l’hôte de cette 15ème conférence de l’UPCI.
Ce choix témoigne de notre engagement et de notre attachement aux idéaux et aux valeurs de l’UPCI que nous avons en partage avec les autres Etats membres.
Notre pays est prêt à relever le défi de l’organisation de cet événement d’autant plus qu’elle représente une formidable opportunité de plus pour nous ouvrir davantage aux autres nations sœurs et de partager avec elles nos valeurs communes de fraternité, de solidarité et d’humanisme.
De par sa position géographique et sa réputation de terre d’hospitalité, le « Pays des hommes intègres » a accumulé une somme d’expérience en matière d’organisation d’événements à caractère international.
Pour mémoire, retenez que notre pays, a déjà abrité avec succès de grandes rencontres parlementaires, à l’image de la 71ème Session du Comité exécutif de l’Union parlementaire africaine (UPA) et de la 40ème Conférence des Présidents d’Assemblées de l’Union (en novembre 2017) ; de la 106ème Conférence de l’Union interparlementaire (en septembre 2001), etc. C’est donc dire que le Burkina Faso a une expertise des grands évènements parlementaires.
Chaque rencontre ayant ses objectifs propres et sa spécificité contextuelle, le comité national d’organisation de la 15ème Conférence de l’UPCI est à pied d‘œuvre pour prendre en compte toutes les dimensions de l’évènement.
UPCI: Le monde souffre du danger du terrorisme, tout en étant conscient que dans le continent africain, les pays du Sahel en souffrent davantage. A votre avis, quelle est la meilleure stratégie à adopter face à de tels dangers ?
Alassane Bala SAKANDE: Il n’y a pas de panacée en matière de lutte contre le terrorisme.
Il faut tout d’abord noter que le terrorisme est un fléau transfrontalier. Il touche aussi bien des Etats du Sud que ceux du Nord, les nations développées comme celles en voie de développement, les pays démocratiques de même que ceux vivant sous d’autres formes d’organisation du pouvoir politique.
Je voudrais utiliser ici la métaphore du cancer pour illustrer ce phénomène tel qu’il se manifeste aujourd’hui. Les cellules cancéreuses du terrorisme sont certes actuellement concentrées au Sahel, mais la métastase menace toutes les zones du monde. C’est pour cela qu’il faut une réponse commune et forte.
La création du G5 Sahel et la mise en place du Comité interparlementaire G5 Sahel procèdent de la volonté des Etats membres de mutualiser leurs efforts de lutte contre la menace terroriste. Mais il faut bien plus pour endiguer le terrorisme qui a vocation de s’exporter.
Aujourd’hui, c’est la bande sahélo-saharienne qui constitue la zone martyre du terrorisme. Mais il faut craindre une extension de la violence si l’engagement militaire et politique des autres Etats venait à faire défaut.
Le soutien et l’accompagnement des partenaires bilatéraux, des autres organisations sous-régionales, internationales, comme l’ONU, et l’ensemble de la communauté internationale sont indispensables à l’arrêt de la propagation des groupes armés.
Face aux défis sécuritaires, l’UPCI doit consolider ses acquis tout en engageant des réformes dans le sens du renforcement de l’unité de la Oumma.
L’option militaire n’étant pas la seule réponse appropriée à la lutte et à la prévention contre le terrorisme, il faut davantage d’investissements socio-économiques dans les localités caractérisées par la carence de l’Etat. Car ne l’oublions pas, la pauvreté et l’ignorance sont les deux mamelles nourricières de toutes les formes d’extrémisme violent. Sur ce point, l’accompagnement des partenaires au développement est tout aussi indispensable.
UPCI: La cause palestinienne et le statut d’Al-Qods restent la cause centrale pour l’Oumma islamique, considérée comme la cause d’un peuple chassé de son pays pendant plus de soixante-dix ans. Selon vous, comment l’UPCI devra-t-elle réagir vis-à-vis de cette question?
Alassane Bala SAKANDE: Ce n’est un secret pour personne, la cause palestinienne est considérée comme la première question du monde musulman. L’UPCI a un devoir de promouvoir un monde plus juste. C’est un idéal qui fonde tout le sens de la lutte engagée par l’UPCI dans la défense des droits de nos frères la Palestine. Il est de la responsabilité des différents acteurs de travailler à débarrasser le monde, de l’injustice et de la violence.
UPCI : Le Parlement burkinabè est doté d’une expérience considérable dans le domaine de la diplomatie parlementaire. A votre avis, comment pourrons-nous, nous servir de votre expérience dans ce domaine afin de donner l’exemple aux autres ?
Alassane Bala SAKANDE: L’Assemblée nationale du Burkina Faso se réjouit de ce que sa diplomatie parlementaire constitue aujourd’hui une référence. Ce n’est certes pas un modèle universel, mais nous partons du principe que le député porte partout les aspirations de ses mandants au sein des organisations interparlementaires et auprès des Parlements amis.
Dans le domaine de la coopération internationale, l’action de la 7e législature s’inscrit dans une vieille tradition parlementaire du Burkina Faso qui consiste à toujours s’ouvrir aux autres institutions aussi bien dans le cadre bilatéral que dans le cadre multilatéral.
dit, nous sommes toujours disposés à partager notre expérience mais aussi à recevoir celle des autres.
UPCI: A notre époque contemporaine, les musulmans souffrent de l’islamophobie notamment dans le monde occidental. Comment pouvons-nous combattre ce phénomène ? Est-ce à travers le dialogue des civilisations, ou en les éclairant sur notre religion tolérante, ou par quels autres moyens ?
Alassane Bala SAKANDE: Il est en effet regrettable que de nos jours, des personnes puissent encore être inquiétées du seul fait de leur appartenance confessionnelle.
L’intolérance religieuse dont sont victimes aussi bien les musulmans que les autres croyants tire sa source des stéréotypes et autres amalgames savamment distillés et entretenus des individus portés par la haine de l’autre.
Pour ce qui est du cas particulier de l’islamophobie, c’est par la pratique quotidienne de la foi et des valeurs musulmanes que l’on pourra déconstruire les discours antimusulmans. Les organisations islamiques doivent travailler à multiplier les actions d’information et de communication sur les vraies valeurs de l’Islam. Cette campagne de sensibilisation doit cibler toutes les tranches d’âges mais particulièrement les plus jeunes car ce sont eux les édificateurs du monde de tolérance de demain.
A l’échelle nationale, les pouvoirs publics et les organisations de la société civile doivent œuvrer à renforcer les cadres de dialogue entre religions, entre cultures et entre civilisations. Il faut ouvrir les communautés les unes aux autres pour changer les regards et les mentalités.
UPCI : La solidarité entre musulmans est une question préconisée par l’islam. Comment pouvons-nous la concrétiser à travers les parlements de l’UPCI ?
Alassane Bala SAKANDE: La solidarité est au carrefour des valeurs humaines et en tant que telle, sa promotion à travers les Parlements de l’UPCI passe par le renforcement du principe de concertation régulière entre les institutions parlementaires. De cette concertation naitra le partage de bonnes expériences entre Parlements. Mais cette solidarité entre musulmans ne doit pas être comprise comme une solidarité dirigée contre une autre communauté religieuse. Bien au contraire. « Nul contrainte en religion car le bon chemin se distingue de l’égarement», enseigne le saint Coran (2.256).